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       Un étoilement peaucier…

La racine est l’arbre mystérieux, elle est l’arbre souterrain, l’arbre renversé.

Pour elle, la terre la plus sombre — comme l’étang, sans l’étang — est aussi un miroir,

un étrange miroir opaque qui double toute réalité aérienne par une image sous terre.

 En fait, l’image de la racine, pour peu qu’elle soit sincère, révèle en nos songes tout ce qui fait de nous des terriens.

Tous, tant que nous sommes, sans aucune exception, nous avons pour ancêtres des laboureurs.

Gaston Bachelard

 Ce serait comme si tout l’univers, le grand Tout, était contenu en ces images. Comme si gestes, matières, processus étaient en latence au plus profond de la Terre.   Ce sont des étoffes de vie souterraine, des abstractions, des lignes grâcieuses, des radicelles sinuant dans l’espace. Ce sont aussi des peaux, des tissus, des   membranes. Les images de Valérie Crenleux donnent à tendre l’oreille afin de percevoir le crépitement des racines, le rythme de leurs cheminements, la mélodie   de leurs ramifications.

 Les racines texturisent de leurs courbes serpentines les espaces que crée le processus naturel sous l’impulsion de l’artiste. Tout en se laissant orienter, voire   apprivoiser, elles deviennent visibles et sont ici sollicitées puis invitées à se développer pour faire image. Ce projet montre en double-pages les photographies   macroscopiques qu’elle extrait de ces créations. Celles-ci conduisent le regard dans les linéaments de sensations colorées dont la matière module les dérives.   L’œil  y est emporté dans les détails tannés de ces microcosmes qui acquièrent avec le subjectile photographique une autre autonomie. Comme des Lunes inscrites   au creux de ciels profonds.

 Subtilement, les racines se propagent en disques filamenteux. Il y a là quelque chose du bijou et l’artiste les traite comme tel en les plaçant au sein d’un écrin au   velours noir profond, écrin qui cerne, protège et met en valeur l’objet de sa création. Ce geste délicat ouvre un champ perceptif qui n’est pas sans évoquer les   nébuleuses aux noms divins qui embellissent nos nuits. Elle dépose les bouts d’étoffes de Terre, fige d’images ces instants dans de célestes lumières teintées   d’éternel, referme sur ces étoilements peauciers la douceur infinie d’un étui.

 Le déploiement de leur finesse, les courbes dansantes et leurs mouvements sinueux ont aussi cela de troublant qu’ils évoquent les réalisations d’orfèvres.   Ciselures minutieuses dans un creuset obscur. Quant aux mouvements de leurs lignes, ils semblent suivre les pulsations d’un élan vital et les courbes presque   boucles tisser   dans leur maillage d’étranges motifs dont on ne sait ce qu’ils sont.

 Les racines sont les bijoux de la Terre, processus et œuvres. Elles en sont les étoilements souterrains, les veines affleurant sous la peau. Et, telles que Valérie   Crenleux les travaille, elles deviennent les palimpsestes d’un monde qui nous est inconnu : une fragile archéologie en devenir. 

 

 Laurence Gossart, critique d'art, 2023

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